PORTE-DRAPEAU : LE GRAND TUTO

par SO

Temps de lecture25 min

PORTE-DRAPEAU : LE GRAND TUTO

Ils ont toutes et tous eu un jour à assumer le rôle de porte-drapeau de la délégation française aux Jeux olympiques ou paralympiques. Béatrice Hess, Laura Flessel, Philippe Candeloro, Damien Seguin, Martin Fourcade et Jackson Richardson racontent ce que c’est d’enfiler le costume d’ambassadeur français aux Jeux. Et non, le drapeau n’est pas si lourd que ça. Le rôle, un peu plus.

 

CASTING (par ordre alphabétique)

 

Philippe Candeloro

Le D’Artagnan du patin sur glace, médailles de bronze à Lillehammer (1994) et “ici, à Nagano” (1998), porte-drapeau aux Jeux olympiques d’hiver de Nagano (1998).

 

Laura Flessel-Colovic

Pollinisatrice de médailles olympiques à l’épée (5 dont 2 d’or), surnommée la Guêpe, porte-drapeau aux Jeux olympiques d’été de Londres (2012).

 

Béatrice Hess

Nageuse en catégorie S5, rien de moins que 26 médailles paralympiques, porte-drapeau aux Jeux paralympiques d’été d’Atlanta (1996) ET de Sydney (2000).

 

Martin Fourcade

La meilleure gâchette de l’histoire du biathlon français, porte-drapeau aux Jeux olympiques d’hiver de PyeongChang (2018)

 

Jackson Richardson

Barjot couvert de bronze aux Jeux olympiques d’été de Barcelone (1992), porte-drapeau aux Jeux olympiques d’été d’Athènes (2004).

 

Damien Seguin

Skipper, double champion paralympique en quillard 2.4mR (2004 et 2016), vice-champion paralympique en quillard 2.4mR (2008), et porte-drapeau aux Jeux paralympiques de Londres (2012).

 

LE PROCESSUS DE SÉLECTION

JACKSON RICHARDSON

En 2004, ça se votait au CNOSF. J’ai su huit ans après que le président Henri Sérandour s’était engagé à ce que je sois porte-drapeau. J’étais le premier, depuis 1988, à être issu d’un sport collectif. Sérandour voulait, je crois, valoriser le parcours du hand français jusque-là.

 

MARTIN FOURCADE

Je n’avais pas fait acte de candidature. Denis Masseglia (président du CNOSF) m’avait sollicité officieusement, en amont, mais je ne voulais pas l’être parce que je pensais perte de temps, d’énergie, sollicitations supplémentaires, malédiction du porte-drapeau. Et je courais le lendemain de la cérémonie. Puis je réfléchis pendant six mois. Les retours d’expérience de Tony Estanguet et Vincent Defrasne m’ont énormément servi. Vincent, avec qui j’avais fait les Jeux de Vancouver, m’avait dit qu’il mettait au même niveau l’émotion de son titre de champion olympique 2006 et celui de porte-drapeau. Là, je tilte et je vois plus les points positifs que négatifs. Et je me suis rendu compte que je devais assumer ce rôle. De par mon statut un peu particulier en équipe de France, ma notoriété, mon parcours olympique. J’y suis allé à reculons, ok, mais pour ne pas refiler la patate chaude aux autres.

 

LAURA FLESSEL

J’étais pressentie pour Pékin 2008, mais Tony Estanguet avait été retenu. En 2012, la fédé d’escrime se positionne. J’allais disputer les cinquièmes Jeux de ma carrière, j’avais 5 médailles olympiques. Mais je n’avais pas fait de lobbying. Pour moi, être porte-drapeau, c’était juste la cerise sur le gâteau.

 

DAMIEN SEGUIN

Le président de la fédération handisport et le président du CPSF sont venus me voir quelques mois avant la désignation pour me dire que j’étais pressenti, avec d’autres. J’étais vraiment focus sur ma prépa et je ne m’y attendais pas du tout. Et puis ça s’est officialisé, quelques semaines après.

 

BÉATRICE HESS

Me concernant, il ne faut pas oublier la période. Passer dans les médias, pour les paralympiques, c’était rare. Sur les Jeux précédents (1992), on parlait de nous 15 jours après notre arrivée. (Rires.) Donc, pour s’intéresser à nous, il fallait quelqu’un qui puisse s’exprimer, avec une vie derrière. J’étais mariée, j’avais des enfants, et sportivement, les résultats ont joué. J’étais en plein come-back, j’avais gagné toutes les médailles des championnats d’Europe, battu des records du monde.

 

PHILIPPE CANDELORO

Le CNOSF avait dans le viseur 3-4 athlètes connus, reconnus, qui puissent avoir un impact au moins visuel lors des cérémonies. On m’a demandé si je voulais être dans cette présélection. Il voulait, je pense, aussi récompenser, d’une certaine manière, une carrière. Je faisais mes derniers Jeux, ce qui offre toujours un moment émouvant, bénéfique pour la France et l’athlète. Je me posais quand même des questions, sur la fatigue, la pression, les sollicitations médiatiques.

Doug Pensinger /Allsport

D'Artagnan, star au Japon

L’OFFICIALISATION DE LA DÉSIGNATION

PHILIPPE CANDELORO

Même si je n’ai pas choisi, je trouvais finalement ça logique : j’étais déjà une star au Japon. Je l’ai pris avec beaucoup d’honneur, comme quand j’ai reçu l’ordre national du Mérite, une petite médaille bleue, par Chirac, en 1998. Tu te sens ambassadeur et leader de l’équipe de France.

 

MARTIN FOURCADE

Dès l’annonce officielle, j’ai l’impression d’être poussé par une énergie collective. L’appréhension des débuts s’est envolée. Ça a vraiment été un moment marquant, dans ma carrière, entre le Moi et le Nous. Jusqu’en 2018, j’étais plus dans une logique sportive personnelle, égoïste parfois, pour performer. Et là, je sens la force du collectif, le partage avec les athlètes, les supporters.

 

LAURA FLESSEL

Ça me fait hyper plaisir d’être officiellement désignée. C’est aussi la reconnaissance de 20 années de pratique, avec toutes les médailles possibles, même celles en chocolat.

 

BÉATRICE HESS

Après mes bons championnats d’Europe, mon come-back et mes records, c’était presque impensable que je ne sois pas désignée. J’avais 38 ans, la maturité pour assumer ce poids-là. Mais à cette période-là, en étant une maman qui laissait ses enfants à la maison, si je ne réussissais pas, je savais qu’on me dirait : “Ben, pourquoi elle est revenue, elle ?” J’ai pris tout ça comme un défi. Et plus il y a de défis, plus le stress monte et plus je trouve ça parfait.

 

Comment booster la confiance du porte-drapeau

 

DAMIEN SEGUIN

Même si j’ai du mal à me projeter, à ce moment-là, je le prends comme un super cadeau, un moment magique. Je suis super fier à l’idée de mener la délégation sur ce fameux tour de piste, en tenant l’étendard français, même si t’es jamais prêt à cette fonction. Se mettre des objectifs sportifs, tu sais faire, mais ça…

 

JACKSON RICHARDSON

Je suis désigné 100 jours avant la transmission des drapeaux. Je ressens une grosse pression que j’essaie d’alléger. Ma femme me voit dans mon jardin m’entraîner avec mon râteau dans les mains, comme si c’était un drapeau. (Rires.) Je comprends vraiment l’importance du truc quand David Douillet me transmet ce drapeau, devant tous les journalistes. “Tu as désormais toute une délégation derrière toi, que tu vas tirer vers l’avant, tu vas vivre un moment grandiose.” Sans montrer mes émotions, je prends une claque. Guy Drut me dit que porte-drapeau, “ça aurait été son rêve”. Lui, le ministre, le champion olympique, il te dit ça… Bref, tu sens le poids : 10 kilos de pression par David Douillet et 20 par le ministre des Sports. Ça faisait 30 kilos à porter en plus pour la cérémonie.

"Ma femme me voit dans mon jardin m’entraîner avec mon râteau dans les mains, comme si c’était un drapeau" Jackson RIchardson

L’ÉLOGE DE LA PATIENCE, AVANT LA CÉRÉMONIE D’OUVERTURE

LAURA FLESSEL

D’abord, on est tous au bâtiment de la délégation, à se maquiller mutuellement, à repasser nos tenues. Tu vois certains athlètes, comme les tireurs, qui n’en seront pas, parce que compète le lendemain. Tu sens une effervescence. Ensuite, c’est très protocolaire, t’as un planning serré. La délégation attend dans un gymnase. Les autres athlètes te font des blagues. Tu vas récupérer ton drapeau, tu regardes les tenues des autres délégations, tu jauges les fringues. Et puis tu te positionnes avec ta délégation. L’euphorie, l’adrénaline, la pression monte. Tout le monde vient toucher le drapeau. Là, tu te dis que t’es pas là pour rien, dans les starting-blocks.

 

PHILIPPE CANDELORO

À Lillehammer (1994), on avait poireauté trois heures dehors, par -16°C. À Nagano, on attendait dans une salle chauffée. T’es euphorique, tu revois des copains, parfois tes concurrents aussi. C’est comme une troisième mi-temps, sauf que tu ne te bourres pas la gueule ! T’attends le signal pour entrer dans le stade. Déjà que la cérémonie est très codée, alors imaginez au Japon… Faut pas faire les cons, quoi. C’est réglé comme du papier à musique, les pays les uns derrière les autres, dans un ordre bien précis.

 

JACKSON RICHARDSON

Par ordre alphabétique. Donc mieux vaut être la France que le Zimbabwe ! Faut être là deux ou trois heures avant. C’est tellement long, l’attente dans ces longs couloirs. T’es dans le noir complet et t’as cette adrénaline qui pousse.

 

MARTIN FOURCADE

Le temps d’attente est bien plus long que le défilé en lui-même.

 

Tutoriel pour avoir une photo presque ratée de Magic Johnson

 

 

LAURA FLESSEL

C’est vraiment très protocolaire : le porte-drapeau, la première ligne, la deuxième ligne, avec un écart de mètres bien défini. Mais on ne respectait pas trop, on voulait montrer notre unité. Les officiels me répétaient : “Deux mètres, deux mètres !” Je regardais toute ma délégation : “On avance comme pour créer une vague bleue.” On chantait, on se faisait des battles d’hymnes. Et on avait des mots pour les primos : ne piétinez pas trop, portez vos chaussettes de contention, pensez bien à vous hydrater, ne pas prendre froid. Une énorme décharge d’adrénaline nous attend.

 

JACKSON RICHARDSON

Avant d’entrer dans le stade, à cause des distances à respecter entre ta délégation et celle devant toi, je me retrouve tout seul, moi, l’habitué du collectif. Je me revois à parler à mon drapeau. Puis je fais exprès de ralentir mes pas, pour me rapprocher de ma délégation, parler avec eux, mais je me fais engueuler par les officiels.

 

DAMIEN SEGUIN

J’appréhende un peu le moment avec beaucoup d’excitation. Ça a beau être mes troisièmes Jeux, je n’avais jamais fait l’ouverture, vu que je naviguais toujours le lendemain. Là, après une longue attente à l’extérieur du stade, d’un coup, la file des nations commence à avancer. On me met le drapeau français dans les mains, tu empruntes le tunnel de soixante mètres menant à la piste du stade. Le reste de la délégation derrière moi entonne une Marseillaise de folie. La chair de poule... Et d’un coup, les portes s’ouvrent, les flashs crépitent.

 

PresseSports

Je regardais toute ma délégation : “On avance comme pour créer une vague bleue.”

CÉRÉMONIE, OUVRE-TOI !

JACKSON RICHARDSON

Quand t’arrives dans la lumière, c’est grandiose. En plus, j’ai pas du tout l’habitude d’entrer dans un stade de 60 000 personnes. C’est magique, quoi !

 

DAMIEN SEGUIN

Pareil. J’entends une musique et une ambiance de dingue. La seule chose à laquelle je pense sur le moment ? “Damien, ne tombe pas !” Parce que sinon, derrière moi, j’ai 200 athlètes avec quelques fauteuils roulants qui me passeraient sur le corps. (Rires.) Je fais attention à bien agiter le drapeau. Ni trop lentement ni trop rapidement. J’ai l’impression d’être en lévitation. J’en profite un maximum. Autant c’est possible de gagner plusieurs médailles, autant être porte-drapeau, c’est unique, une seule fois dans une vie.

 

"je craignais de ne pas faire l’unanimité dans l’équipe de France " Philippe Candeloro

 

MARTIN FOURCADE

Le biathlon m’avait quand même habitué aux grosses ambiances. Sauf que d’habitude, en compétition, je me concentre sur ce que j’ai à faire. Mais là, je suis surtout marqué par l’esprit festif. Je veux être avec ma délégation. Pas devant, tout seul. Alors je laisse partir la personne qui tient la pancarte “France”. Je n’ai pas le droit, en soi, mais chacun doit trouver sa voie, sa manière de faire.

 

PHILIPPE CANDELORO

Quand tu débarques dans le stade, t’es le coq. Le drapeau n’est jamais un élément de supériorité par rapport aux athlètes de ta délégation, mais t’as l’impression que tu emmènes “tes” athlètes, même s’ils ne sont pas à toi. Je sens derrière moi une équipe de France olympique qui a les crocs. T’es devant eux, ils te suivent, t’es comme un chef de guerre. Et au bout de la cérémonie, le président du CIO déclare les Jeux ouverts, avec l’Empereur du Japon. T’as les poils, quoi ! Tu ne peux plus reculer, tu entres dans les Jeux. (Il tape sa paume du poing, NDLR.) Je sais que je vis ma dernière olympiade, je suis en pleine possession de mes moyens. Dans la délégation française, personne n’a l’air de me jalouser. Ça me faisait peur, ça. Surtout avec mon côté déconneur, je craignais de ne pas faire l’unanimité dans l’équipe de France olympique. Mais je pense avoir été vers tout le monde, pas seulement vers les patineurs.

 

MARTIN FOURCADE

Le CNOSF s’est plié en quatre pour me permettre d’optimiser au mieux le parcours et de rentrer avant la fin de la cérémonie à l’hôtel. Je courais le lendemain. C’était plus raisonnable.

 

PHILIPPE CANDELORO

Bizarrement, comme tu dois faire le job, être dans les pas, je n’ai pas fait le con avec les copains derrière, comme à Lillehammer. Même si ça ne m’a pas empêché d’être joyeux. Tu défiles, les Japonais t’acclament, t’as déjà l’impression de faire une prestation. Et puis la flamme qui s’allume par exemple… un souvenir formidable.

 

BÉATRICE HESS

À Atlanta, faut savoir que les médias étaient plus ou moins payés, après les JO, pour rester suivre les Paralympiques et voir que c’était aussi du sport de haut niveau, avec une préparation et tout. C’est encore la découverte pour eux, à cette période-là. Je ne suis absolument pas connue, même pas une photo, rien du tout. J’arrive toute timide pour mes troisièmes Jeux, et le stade est à moitié plein. Ou moitié vide. Comme vous voulez. (Rires.) Mais je ne m’arrête pas là-dessus. Je n’ai pas envie de savoir si les médias ou le public disent : “Mais c’est qui, elle ?” Je veux surtout qu’ils se disent : “Quel pays est en train de passer, là ?” Je m’arrête à ça : je suis là pour représenter la France. À vrai dire, je n’ai aucune photo de moi tenant le drapeau. À Sydney en revanche, c’était la folie. Déjà, tu pouvais voir des statues de personnes en fauteuil devant un building, une poupée Barbie en fauteuil. Je trouvais ça dingue. Le stade est plein. Quand on entre dans le stade, la délégation chante La Marseillaise, puis “Qui c’est les plus forts, c’est ceux qui sont debout, qui sont les plus forts c’est ceux qui sont en fauteuil !” Là, tu entres vraiment dans tes Jeux, mais je n’ai qu’une seule hâte : passer à la compétition.

 

LE POIDS DU DRAPEAU

JACKSON RICHARDSON

Le drapeau, il n’est pas lourd du tout. T’as pas à le porter parce que tu le poses sur une ceinture.

 

LAURA FLESSEL

Le plus difficile à gérer en fait, c’est le vent. Faut faire attention à ce que le drapeau flotte, quand même.

 

DAMIEN SEGUIN

Il est plus dur à manipuler que ce que je pense. Mais j’ai choisi de le tenir à pleines mains, sans la bandoulière. Il est sacrément grand, ce drapeau. Y a pas de vent dans l’enceinte du stade, donc faut l’agiter un peu, pour qu’il flotte bien. T’as l’impression d’être un peu gauche, mais sur les images, ça rend super bien.

 

PresseSports

"Dans le tunnel du stade, on prend une canette et on coince le drapeau dedans" Béatrice Hess

 

BÉATRICE HESS

Aux Jeux d’Atlanta, j’ai de quoi accrocher le drapeau à mon fauteuil. Mais comme on était dans le pays de Coca-Cola, on fait une petite plaisanterie : dans le tunnel du stade, on prend une canette et on coince le drapeau dedans.

 

PHILIPPE CANDELORO

En 1998, on commence à avoir des caméscopes. J’en ai un dans la main, le drapeau dans l’autre. Parfois, je change de main et je filme. J’ai des images insolites, de tarés, que les télés n’ont pas. Je les ai toutes dans la tête.

 

MARTIN FOURCADE

Quand on m’a demandé d’être porte-drapeau, je ne visualisais que cette action : porter le drapeau, dans le sens très mécanique du terme. Finalement, tu te rends compte que les athlètes de ta délégation ne se le représentent pas du tout comme ça. Pour eux, t’es leur capitaine, tu marches devant dans le stade et t’emmènes tout le monde.

LE COUTEAU SUISSE DES SENTIMENTS

JACKSON RICHARDSON

Pas simple. Tu dois apporter un plus à tous les autres athlètes, pas que à tes 16 handballeurs dont t’es le capitaine. Si t’es porte-drapeau, c’est que t’as une certaine expérience. Tu dois apporter, au-delà de l’exemple, un certain réconfort pour les athlètes qui en ont besoin. Et c’est pas toujours évident de rester focus sur ta compétition et d’apporter les réponses adéquates aux autres. Quand ils viennent vers moi, je fais comme quand quelqu’un vient discuter avec moi, dans la rue : au naturel. Ça peut être juste une photo, un échange de sportif à sportif, mes expériences passées aux Jeux. Je ne me force vraiment pas. Parfois, je vais à la table de certains que je ne connais pas. C’est ça, les Jeux.

 

MARTIN FOURCADE

Il n’y a pas deux porte-drapeaux identiques. Selon moi, il doit quand même donner un souffle et une énergie à la délégation. À titre personnel, je fais des petites choses comme écrire un message juste avant le début des Jeux : “Voilà les copains, cette aventure va commencer, on y va ensemble, je suis fier d’être votre porte-drapeau et si vous avez besoin de moi, voici mon numéro.” C’était ma façon de lancer les Jeux. Malgré mon programme très dense de compétition, dans mon esprit, j’ai ce rôle invisible, à être là pour te rattraper si tu trébuches. On a eu un moment dur pendant ces Jeux, avec un athlète exclu. (Le géantiste Mathieu Faivre qui avait déclaré n’avoir “rien à foutre de l’équipe”, NDLR.) Mais ma position, c’est d’être en permanence, dans mes prises de paroles, du côté des athlètes. En tout cas, je trouve que le rôle du porte-drapeau fait tomber la barrière. Je ne suis pas super avenant au premier abord, mais là, j’ai tendance à aller au contact, dans un rôle de conciliateur, facilitateur. Je vais vous dire : la plus belle rencontre, c’était peut-être avec moi-même. Je découvre à ce moment-là que je peux être ouvert et attentif aux autres. C’est super.

 

 

Partager son drapeau

"la plus belle rencontre, c’était peut-être avec moi-même" Martin Fourcade

LAURA FLESSEL

J’ai deux missions, à respecter, honorer et réussir : ma mission sportive, en tant qu’épéiste, et celle de chef d’équipe. Bon, mon aventure à l’épée s’arrête rapidement, contre une Roumaine, en huitièmes de finale. Mais cela ne doit pas influer sur mon rôle de capitaine d’équipe. Ok, t’es en intraveineuse bleu-blanc-rouge, l’ambassadeur de la France, tu dois avoir cette notion de fierté, d’excellence, de solidarité, sans être moralisateur ou donneur d’ordres. Mais tu dois aussi être la grande sœur, la médiatrice, le coach, l’amie, la personne qui est là en cas de bons ou mauvais moments. Pour tout le monde, de la plus jeune, qui a à peine 15 ans, au plus ancien, de 60 ans, dans l’équipe d’équitation. Nous sommes tous des compétiteurs, avec des cauchemars, des doutes les veilles de compétition parfois. Il faut passer des messages de sérénité, être dans l’empathie. Ça prend du temps. J’ai eu des larmes aussi après ma défaite. Mais je les ai mises dans un tiroir pour être auprès de ma délégation. J’essaie d’être présente, pour les médaillés ou non. La rétrospective à la télé dure 5 minutes, mais derrière, c’est 4 ans de travail pour les athlètes. Et des doutes, des blessures, des remises en question, des non-sélections, des naissances. Je me souviens de la judokate Anne-Sophie Mondière, qui se qualifie pour les Jeux en revenant de grossesse. Elle est éliminée au premier tour. Je sors du badminton pour aller voir un combat de Teddy Riner. Je la vois, dans ce survêt bleu-blanc-rouge, déambulant tristement dans les couloirs. Je reste pour discuter avec elle. J’aurai bien le temps de voir les autres combats de Teddy. Il n’y en a rarement qu’un seul, avec lui.

 

PHILIPPE CANDELORO

Honnêtement, en 1998, j’ai à peine le temps de rencontrer les athlètes, donc à peine pour faire le confident. Je suis porte-parole, comme le Gabriel Attal du gouvernement aujourd’hui. Quand je réponds à la presse, je dis que l’équipe de France est en forme, va faire plein de médailles, alors que je n’en sais rien. (Rires.)

 

BÉATRICE HESS

En fait, dans les années 1990, t’es porte-drapeau, mais pas porte-drapeau ET capitaine. C’est venu après, ça. Le porte-drapeau, il porte les valeurs olympiques ou paralympiques – bon, à mon sens, c’est exactement la même chose – de son pays : le respect, le fair-play, les droits de l’homme, une bienveillance pour les autres. Tu représentes la France, et la fierté de la représenter.

 

DAMIEN SEGUIN

À Londres, j’ai les deux rôles. On ne te donne pas de fiche de poste quand on te désigne, mais je me dis que je dois mener du mieux possible les athlètes sur le tour de piste lors de la cérémonie d’ouverture, qu’ils le vivent tous bien. Je veux créer un sentiment d’appartenance à une équipe de France, aider les primo-accédants à prendre la mesure des Jeux. Je pense avoir réussi à le faire. En fait, le porte-drapeau est quand même souvent quelqu’un d’expérimenté, avec de bons résultats sportifs. T’as, forcément, déjà la reconnaissance de tes pairs, dans l’équipe. Et ils doivent sentir que t’es capable d’absorber la pression inhérente aux Jeux, et à ton rôle.

LA FAMILLE DES PORTE-DRAPEAUX

DAMIEN SEGUIN

Pendant les Jeux, tu discutes un peu entre porte-drapeaux juste avant les cérémonies d’ouverture et de clôture, dans le village olympique. On finit par se connaître un peu les uns les autres, à se chambrer, un peu.

 

MARTIN FOURCADE

Je n’ai personnellement pas senti de confrérie. À la limite, chacun est fier de savoir qu’il n’y en a pas beaucoup. Donc on se reconnaît tous un peu là-dedans, ce côté unique.

 

PHILIPPE CANDELORO

Il doit y avoir à peu près autant de monde qui est allé sur la Lune que de gens qui ont été porte-drapeau de l’équipe de France olympique.

 

LAURA FLESSEL

Quand je me lance dans un projet, je veux savoir où je vais. Donc j’ai discuté de ça avec David Douillet, Jackson Richardson ou Marie-José Pérec. Je leur avais demandé ce que ça leur avait fait avant, pendant et après, pour être sûre de ne pas mal faire. Tous m’ont dit que des années après, ils avaient encore cette fierté d’avoir emmené une délégation derrière eux, au Graal. Je me suis demandé si j’étais capable. Une fois que cette réflexion intrinsèque était faite, je me suis dit que oui, j’avais les armes.

 

PHILIPPE CANDELORO

Je n’ai pas échangé avec les autres porte-drapeaux. Avant de l’avoir vécu, je n’avais jamais regardé mes prédécesseurs en 1988 ou 1994 en me disant : “Putain, j’aimerais bien être à sa place.” Je préférais être sur mon podium olympique que porte-drapeau. Bon, l’apothéose, en 1998, c’est que je suis aussi médaillé, après le bronze de Lillehammer.

 

JACKSON RICHARDSON

En 1992, j’avais pas mal échangé avec Jean-François Lamour, notre porte-drapeau, notre père à tous, le champion olympique de Séoul (1988), le monsieur à travers la télé, pour moi. Et plus tard, j’ai discuté du rôle avec Marie-Jo et David (Douillet), mais c’était différent parce que j’avais appris à les connaître en 1992 justement. On avait déjà ce lien entre nous.

 

DAMIEN SEGUIN

J’en avais parlé avec celle qui m’a précédé, Assia El Hannouni et celui qui m’a succédé, Michaël Jeremiasz. Et tout le monde dit la même chose : “Profite de ce moment-là parce que c’est un kiff total.”

Le meilleur moment, en tant que porte-drapeau

LA MALÉDICTION DU PORTE-DRAPEAU, VRAIMENT ?

MARTIN FOURCADE

Au début, direct, j’ai pensé à une malédiction du porte-drapeau. Pourtant, c’est un préjugé médiatique et populaire. Parce que finalement, j’ai surtout des contre-exemples en tête. Mais, au début, j’avais l’impression que ça me rajoutait une charge.

 

JACKSON RICHARDSON

On rate le podium à Athènes 2004. (Le hand français termine 5e, NDLR.) Mon rôle de porte-drapeau n’est pas en cause, mais c’est vrai qu’il te donne des devoirs, notamment les interviews supplémentaires, avec les autres porte-drapeaux, avec les partenaires des Jeux. À la fin de la compétition, je demande surtout pardon à la France entière. J’ai cassé une chaîne : depuis 1992, tous les porte-drapeaux avaient eu la médaille d’or. Et ça, ça m’a peiné.

 

PHILIPPE CANDELORO

À un moment, mes entraîneurs se sont demandé : est-ce que ça ne va pas me déconcentrer dans ma compétition, m’épuiser déjà avant même qu’elle commence ? Mais c’est ma troisième olympiade, je connaissais les dangers vis-à-vis de mes propres intérêts. Et puis Fabrice Guy (porte-drapeau français en 1992 à Albertville) a bien décroché l’or du combiné nordique, donc bon… Je n’ai pas la science infuse, mais ma mission de porte-drapeau, j’ai l’ai prise avec beaucoup de décontraction, en anticipant les éventuels effets négatifs. Alors ok, tu vis un moment super intense, à 3000% lors de la cérémonie, il faut l’absorber, mais le lendemain, tu dois switcher : “Maintenant, place à la compète.”

 

BÉATRICE HESS

J’ai encore des frissons quand je repense aux séries de natation, le matin, à Sydney. Mon mari me disait qu’il y avait la queue dehors pour entrer dans la piscine. Incroyable. La natation, c’était le sport phare là-bas. Moi, face à ce monde de fou, je suis comme une bouteille de champagne. Il fallait que le bouchon sorte. Je casse le record du monde de 6 secondes. Mon entraîneur disait : “Faut qu’elle ralentisse, elle est folle d’aller si vite.” La ministre des Sports à côté de lui ne comprenait pas trop. Et je répète ça le soir, en finale.

 

 

Matt Turner/ALLSPORT

Mon entraîneur disait : “Faut qu’elle ralentisse, elle est folle d’aller si vite.”

LA VIE D’APRÈS

MARTIN FOURCADE

Cette expérience m’a vraiment marqué, a changé la fin de ma carrière et ma façon de percevoir le collectif. Jusque-là, le relais n’était pas ma priorité. Deux ans après, ça l’était. C’est en 2018 que j’ai basculé vers une idée de transmission, de partage avec les plus jeunes. Et je crois que les gens m’associent dans leur tête à cette image de porte-drapeau. Quand on est porte-drapeau, je crois, c’est à vie.

 

LAURA FLESSEL

Je pense aussi. J’utilise cette image, en tant que femme, ultramarine, maman, championne. T’es un peu un exemple et les gens se disent : “Pourquoi pas moi ?” Jusqu’à ma mort, j’aurai ce devoir de montrer aux gens que tout est possible.

 

DAMIEN SEGUIN

Évidemment que tu sens un changement parce que t’es très exposé. On te reconnaît plus facilement, même des années après. Et là, par exemple, pour Paris 2024, qu’on prépare activement, c’est l’occasion de retrouver l’ensemble des porte-drapeaux. Cela prouve qu’on a encore un rôle à jouer, y compris des années après cette mission de porte-drapeau.

 

 

 

PHILIPPE CANDELORO

En 1998, on n’a pas eu beaucoup de temps pour véhiculer notre image de médaillés. Trois mois après, il y a la coupe du monde de foot. Les gens zappent vite. Normal. Plus que le porte-drapeau ou les médailles, personnellement, c’est plutôt mon personnage de D’Artagnan sur les patins, ma gouaille, le mec qui se lâche, qui a marqué les gens, pas la couleur de la médaille ou le drapeau. Quand je vais à la boulangerie aujourd’hui et que les gens lèvent le pouce, honnêtement, pas certain qu’ils se rappellent que j’ai été porte-drapeau. Ils se disent plutôt : “Ah ouais, le saut périlleux, c’était génial.” Je suis comme une machine à remonter le temps pour eux.

 

BÉATRICE HESS

Quand on me désigne porte-drapeau pour 1996, je suis inconnue en France. Ma seule demi-journée de libre, sur 10 jours pendant les Jeux, je la consacre entièrement aux médias, qui me filment dans l’eau, font des interviews. Et au retour des Jeux, je vais à l’Élysée. Pareil, je suis submergée par les médias. Je vais à droite, à gauche. Je suis l’extraterrestre qui a fait les Jeux de 1984, 1988, qui a fait un come-back en 1996, qui a fait plein de médailles. J’ai eu la chance de faire des émissions télé ensuite. J’en profitais pour faire de l’éducation, parce qu’en 1996, les Français ne comprennent pas encore que les personnes handicapées peuvent faire du sport de haut niveau. J’ai continué dans ce rôle-là après, en entrant au Comité des athlètes. Mon but était de tout faire pour qu’il n’y ait pas de différence entre les Olympiques et les Paralympiques. Ça a commencé à partir des Jeux 2000, à Sydney.

 

 

Tout propos recueillis par Mathieu Rollinger, Théo Denmat, Steven Oliveira et Arthur Jeanne.
Edition : Ronan Boscher

Utiliser son statut de porte-drapeau pour porter le message de l’inclusion

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