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Sébastien Plassard

Forces de la nature

Le ski survivra-t-il au réchauffement climatique ? À deux mois des Jeux de Pékin, les athlètes qui représenteront la France racontent ce rapport intime à la neige, mais aussi à la faune et à la flore. Une équipe de France à la fibre écologique, comme beaucoup de Français lorsqu’il s’agit de la neige. Et comme eux, avec leurs contradictions…

“À Tignes, les premières années où je venais, on pouvait skier, les deux tire-fesses étaient reliés. Désormais, on voit un gros rocher qui est sorti, donc on voit vraiment la différence…” Arthur Bauchet, skieur français paralympique en slalom et Super G, est en pleine nostalgie d’un monde qui, pour autant, n’a pas encore disparu, mais que le réchauffement climatique attaque jour après jour : le Grand Blanc. “Être dans la nature, quand tu es tout seul entre les sapins, entre les mélèzes, qu’il n’y a pas un bruit, tu es vraiment au paradis.” Mais jusqu’à quand ? + 2 °C dans les Alpes en plus d’un siècle (cf. encadré bonus). La prochaine génération pourrait ne plus skier sur de la neige naturelle.

Au départ, il y a le plaisir. Les mots de la romancière canadienne Antonine Maillet font écho à l’enthousiasme que chaque athlète continue d’avoir avec un élément qui renouvelle chaque jour le plaisir de la pratique de ces sports de haut niveau : “La neige possède ce secret de rendre au cœur en un souffle la joie naïve que les années lui ont impitoyablement arrachée.” Le skieur de fond Alexandre Pouyé a grandi dans un village à 1500 mètres d’altitude. Lui parle de “communion avec la nature”, et de longs entraînements en ski de fond : “Quand on fait trois heures tout seul, c’est aussi un voyage intérieur, on réfléchit à plein de choses, à la vie et, tout d’un coup, être interrompu par des beaux paysages et des animaux, c’est une belle partie du métier…” Vivre l’hiver avec la neige fait partie de sa vie. L’attente de la poudreuse aussi. Pour lui, la neige “n’est pas forcément de la nostalgie, mais le ski et les batailles de boules de neige, ça ramène toujours à des choses sympas”, comme “quelqu’un qui a vécu au bord de l’océan ou de la mer ressentirait la même chose”.

"QUAND ON FAIT TROIS HEURES TOUT SEUL, C’EST AUSSI UN VOYAGE INTÉRIEUR" ARNAUD POUYÉ

Face au loup

Alexandre Pouyé

« Cette impression de voler… »

Dans ces disciplines, le cadre d’entraînement est loin d’être un détail : pour les membres de l’équipe de France, c’est pleinement un facteur de motivation. Quentin Fillon Maillet, biathlète de Saint-Laurent-en-Grandvaux, Jura : “Dès petit, j’ai eu cette expérience d’être enneigé tout l’hiver, donc c’est forcément un plaisir. Au départ, skier, c’est être en harmonie avec la nature, et c’est après seulement que la compétition est venue. En ce qui concerne l’environnement, on est bien au courant que le changement climatique est en route et nous influence. On est directement lié à la nature et au fil des saisons, on voit bien qu’il y a de moins en moins de neige. Ça remet beaucoup de choses en question.”

C'est également le cas pour le chef putatif de la délégation qui se prépare à rejoindre Pékin, Alexis Pinturault : “Pour moi, la montagne, c’est une immense beauté et diversité de paysages. Voir la neige, c’est un rêve pour beaucoup de monde, donc c’est la beauté que ça procure et la beauté des paysages que ça engendre. Notre délégation est extrêmement sensible à ça, parce qu’on le vit au quotidien, nous et notre fédération.” Car la situation a tendance à devenir dramatique. Dans sa station “assez haute”, Alexandre Pouyé a vu une diminution quasi de moitié de sa meilleure amie, “de 1 m de neige à 50 cm environ”. Pour celles et ceux qui viennent du Jura, du Vercors ou de la Chartreuse, c’est même encore différent, et également dans le Sud. Alizée Baron est née à Montpellier, mais a très vite habité à Orsières, et a sur la neige le même regard que les montagnards: “La neige c’est beau, c’est blanc, ça brille, c’est cool quoi ! C’est un lieu où je me sens bien, quand je suis à la ville, j’ai l’impression d’être Un indien dans la ville. Je serais beaucoup trop malheureuse si je passais plus de six mois sans voir la neige.” Les Alpes du Sud portent ainsi une histoire singulière. Maxime Montaggioni fait du snow, mais vit à Nice : “Je suis rattaché à Isola, mais on a aussi le Mercantour et un super patrimoine pour rider, c’est assez ouf, dans la même journée tu peux rider et te baigner, c’est quand même une localisation assez exceptionnelle.” Il compare assez vite la relation avec la neige, comme d’autres peuvent l’avoir avec l’eau, comme une échappatoire : “Quand tu habites en ville, tu es tout le temps oppressé. Quand tu vas en montagne, c’est l’inverse, le silence, l’espace, et c’est peut-être toi qui déranges plus les autres. Il y a cette sensation d’être comme en apesanteur, c’est quelque chose qu’on recherche dans le freeride.”

“Les stations de ski survivront-elles au réchauffement climatique ?”

“Les stations de ski survivront-elles au réchauffement climatique ?”

On ne le sait pas forcément, mais la France est le troisième pays au monde en matière de fréquentation des stations de ski, derrière les États-Unis et l’Autriche.

Selon la chambre syndicale Domaines skiables de France, cette industrie représente pas moins de 18 000 emplois directs. Mais aujourd’hui, avec le réchauffement climatique, ce patrimoine est plus que jamais en danger. Alors que, depuis la fin du XIXe siècle, le monde a connu une augmentation des températures d’1,4 degré en moyenne, ce chiffre monte à 2 degrés dans les Alpes. Météo France précise en effet que “les régions de montagne sont plus touchées que les plaines par le réchauffement climatique : l’élévation des températures y est en général plus forte qu’en moyenne sur la planète”. Et alors que le front de neige était traditionnellement situé à 1200 mètres d’altitude, un rapport de la Cour des comptes de 2018 avance que celui-ci monte désormais à 1500 mètres, mettant ainsi en péril la survie des stations de moyenne montagne. Or, se rapprocher des sommets nécessite des travaux idoines et très coûteux, financièrement comme écologiquement. Un coût que chacun des concernés ne peut pas forcément supporter. On estime d’ailleurs que depuis les années 1930, 170 domaines, sur les 584 que compte le territoire français, ont dû mettre la clé sous la porte, et selon les prévisions les plus alarmistes, 50% d’entre eux pourraient avoir fermé à l’horizon 2050.

Une situation dramatique qui amène certains à user de méthodes pour le moins inattendues afin d’assurer leur survie. Ainsi, à Luchon-Superbagnères (Haute-Garonne) et à Montclar Les 2 Vallées (Haute-Provence), on s’est fait remarquer pendant l’hiver 2020 en utilisant un hélicoptère chargé d’acheminer de la neige depuis les sommets vers les pistes. De quoi provoquer l’ire de la ministre des Transports Élisabeth Borne, laquelle avouait cependant à l’époque qu’il fallait “un plan d’action pour accompagner les stations face au dérèglement climatique”. Car aujourd’hui, le recours à la neige artificielle, apparu comme un régulateur dans les années 1990 (et qui équipe 35% des domaines skiables français), ne suffit plus. D’une part parce qu’il est extrêmement coûteux et que cela se répercute entre autres sur le prix du forfait, et d’autre part parce que cette technologie ne résiste pas non plus à la hausse des températures. En sachant que 95% du chiffre d’affaires d’une station est réalisé durant l’hiver, l’heure est plus que jamais à la reconversion. Et le modèle qui se détache du lot est celui dit “des quatre saisons”. À titre d’exemple, trois stations pyrénéennes ont investi 25 millions d’euros sur cinq ans depuis 2018 pour développer des activités estivales comme le VTT ou la randonnée. De plus, les vacanciers ont développé leur conscience environnementale et la baisse des fréquentations de 14% notée dans les Alpes entre 2008 et 2018 montre que ceux-ci sont demandeurs de changement et ne sont plus prêts à chausser leurs skis…

Alex Martin/Presse Sports

Quentin Fillon Maillet à l'entraînement à Bessans (Savoie) en août 2020

La lutte contre le réchauffement climatique, un nouveau sport olympique et paralympique ?

Si d’autres représentants français ont un tout autre rapport à la neige – tels Dorian Hauterville, originaire de Lyon, “venu au bobsleigh un peu par hasard”, ou Gabriella Papadakis, qui a grandi à Clermont et qui n’a pas beaucoup vu la neige en France – la préoccupation écologique est la même. “Quand j’étais petit, j’entendais qu’il y avait un réchauffement climatique, mais je ne comprenais pas vraiment ce que ça voulait dire, confie Alexandre Pouyé. Ensuite, on est entré dans la phase où les gens plus vieux que moi me disaient: ‘Ah, quand j’étais petit, il y avait plus de neige, les glaciers étaient différents’, mais je ne me sentais pas non plus touché directement. La troisième phase dans laquelle je suis entré récemment, ces dernières années, c’est le vivre, le ressentir, et ça fait vraiment peur. Personnellement, c’est un gros gros stress, et je n’arrive pas à imaginer un avenir où ce que l’on fait là, ça puisse durer encore très longtemps…” Arthur Bauchet lui aussi le sait : “On est très mal placés pour parler d’environnement, car mine de rien, notre sport demande énormément à la planète, on en est conscients. On lui fait du mal quand on se déplace en bus en Europe, mais on essaye de limiter notre impact au maximum. Ça fait mal au cœur de voir les glaciers, les montagnes dans cet état. J’espère que la neige a encore un avenir. On est tous concernés, tous touchés par les questions environnementales. C’est notre sport notre métier, on est très proches de la nature.”

Alizée Baron, championne de skicross, partage les inquiétudes des autres membres de l’équipe : “En tant qu’athlètes skieurs, on est directement affectés. Quand on voit des glaciers, on se rend compte qu’ils ne sont plus du tout pareils, ils prennent vraiment cher d’année en année. On le voit, quoi, c’est super choquant, et il faut réagir vite, et en même temps, on prend conscience du fait qu’on a encore la chance de pouvoir skier sur ces glaciers-là, de vivre ça et de pouvoir encore en profiter.” Désormais, les comportements erratiques du climat commencent à se faire ressentir : “Il m’est arrivé des trucs incroyables, raconte Maxime Montaggioni : “Une fois à Tignes, un brouillard givrant, jamais vu ça. Tu fais un mètre, t’as tout sur le masque, c’est glacé, tu passes la descente à gratter ton masque pour essayer d’y voir quelque chose.”

Alexis Berg/Presse Sports

Glacier de Tignes, juillet 2018

"QUAND ON VOIT DES GLACIERS, ON SE REND COMPTE QU’ILS NE SONT PLUS DU TOUT PAREILS, ILS PRENNENT VRAIMENT CHER D’ANNÉE EN ANNÉE" ALIZÉE BARON

S’engager, malgré les contradictions

Si l’engagement est désormais nécessaire, chaque athlète cherche encore le meilleur endroit pour que son action soit la plus en phase avec la réalité de son empreinte carbone. Alexandre Pouyé : “S’engager ? Évidemment, quand on est sportif de haut niveau, on n’a pas vraiment le droit de dire qu’on est très engagé, parce que cet hiver, je vais prendre l’avion pour aller aux Jeux, donc pour l’instant, j’essaye encore de réfléchir à la manière de m’engager, mais je pense déjà qu’après ma carrière, je vais déjà bien bien réduire les voyages en avion, ça c’est sûr.”

Maxime Montaggioni ne se cache pas derrière sa responsabilité : “Peut-être que nous aussi, on participe à la dégradation, donc à côté de ça, je roule en hybride, j’essaie d’avoir des comportements plus écoresponsables. C’est sûr que je ne suis pas irréprochable, mais quand je vois un déchet, je le ramasse, c’est des petits gestes que j’applique au quotidien.” Un principe que Benjamin Daviet trouve nécessaire d’appliquer coûte que coûte : “On a la chance d’avoir une belle nature, en tant que skieur on en profite énormément, et il faut essayer de préserver cette belle faune, ne pas l’abîmer.”


Propos recueillis par Julien Duez et Léo Ruiz


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