Le roman des Renaud : une histoire française

par SO

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Une famille olympique

C’est l’histoire des Renaud, une famille dont le destin olympique raconte un siècle de sport français. Tout commence en 1924 avec Maurice, sur un vélo. Viendront ensuite le neveu Marcel et ses enfants Éric et Philippe sur un canoë. Trois générations pour cinq éditions des Jeux olympiques, trois médailles et de nombreuses places d’honneur. Presque 100 ans après les exploits de son grand-oncle, Philippe Renaud ouvre l’album de famille et raconte cette odyssée inédite.

Assis sur la selle de son vélo, Maurice Renaud, membre de l’équipe de France de poursuite par équipe, n’a plus qu’une course à gagner – la demi-finale – pour s’assurer une médaille olympique. Et en cet après-midi du dimanche 27 juillet 1924, l’optimisme plane sur la piste du vélodrome municipal de Charenton – plus connu sous le nom de La Cipale. Il faut dire que, la veille, l’équipe française de poursuite, composée de Lucien Choury, Joseph Guillemin, René Hournon et Maurice Renaud donc, était ressortie des séries avec le meilleur temps de toutes celles engagées – 5 minutes et 11 secondes. Un jour plus tôt, elle n’avait pas tremblé en quarts de finale, face aux Suisses, partis étonnamment trop vite et à court de jus sur la fin. Et non, en ce dimanche 27 juillet, l’escouade polonaise, repêchée du tour précédent au temps, n’a pas la tête du favori pour cette demi-finale face au quatuor hexagonal. Pourtant, dès le 2e tour, c’en est déjà fini des chances françaises, Choury ayant prématurément crevé. Quid de la 3e place alors ? Rideau. “Les Français affichent nettement leur intention de ne pas pousser, les mains en haut du guidon, puis l’un après l’autre quittent le groupe, sauf Guillemin et Hournon qui se laissent rejoindre sans résister, au bout de 2,75 km”, précise L’Auto, quotidien sportif de l’époque, ancêtre de L’Équipe. Maurice ne le sait pas encore, mais les Renaud auront leur revanche. Cette mésaventure va marquer le début d’une longue histoire entre sa famille et les J.O. Et il le sait encore moins : il ne sera plus jamais question de vélo dans cette histoire, mais d’une discipline à l’héritage amérindien : le canoë.

Sous le Signe de l’Hexagone

Un siècle plus tard, Philippe, le petit-neveu de Maurice, accueille chez lui, dans une longère morbihannaise, à 30 minutes de Vannes. Né en 1962, il a à peine connu son grand-oncle, décédé un an plus tard. Philippe a sorti les archives familiales sur la table de la salle à manger. On y voit bien Maurice à la Cipale, bon gaillard au cuissard noir, tricot bleu blanc rouge à l’horizontale, manches courtes et col roulé, aligné avec ses collègues olympiques. “Ça, c’est une photo de mon père qui avait été envoyée par Télex à l’époque”, poursuit Philippe. On y voit Marcel Renaud sur un podium olympique à Melbourne, en 1956, avec la légende suivante : “La France remporte une médaille d’argent dans le canoë à deux, derrière l’URSS.” Puis c’est au tour d’Éric, frère de Philippe, fils de Marcel, petit-neveu de Maurice, d’être vu avec un bouquet à la main, sourire aux lèvres, une médaille olympique autour du cou, sous le soleil californien de Los Angeles en 1984. Philippe finit avec quelques clichés grand format. Du relief au loin, une immense bâche Séoul 1988, un cours d’eau et un podium. En arrière-plan, le panneau des résultats positionne l’équipage français troisième. “Là, c’est moi”, pointe Philippe du doigt sur la photo.

Didier Hoyer et Eric Renaud - Jeux Olympiques de Los Angeles en 1984

Archive familiale

En regardant les différentes archives, il résume le pedigree olympique familial : “Trois médailles olympiques, l’argent pour Marcel, le bronze pour Éric et moi ; quatre places de quatrième, du grand-oncle à mon frère et moi ; 35 années de présence cumulée en équipe de France.” Venez-les chercher. “À ma connaissance, mais je me trompe peut-être, on est la seule famille comme ça.” Paris 1924, Helsinki 1952, Melbourne 1956, Los Angeles 1984 et Séoul 1988. Toutes ces olympiades auront eu leur lot de Renaud. “Je n’ai pas passé la sélection pour les JO de 1992, à Barcelone”, termine Philippe.

“On a toujours habité près d’une rivière.”

Si le grand-oncle a ouvert le bal olympique familial par le cyclisme sur piste, les générations suivantes ont préféré l’eau et le canoë. Alors gamin du 19e arrondissement de Paris, Marcel ouvre en effet la voie à force de traîner, l’été, sur les bords de Marne, à proximité de la maison de campagne. “Et puis mon père a travaillé très jeune et s’est acheté un canoë”, renseigne Philippe, qui n’a pas vécu cette période. Il raconte un paternel pas embêté par l’effort physique, capable de se cogner des compétitions de natation, “comme la Traversée de Paris, en hiver”, et qui s’est essayé à l’eau vive. Pour terminer, quand même, champion du monde par équipe de slalom en kayak, en 1948 à Genève. “Puis il s’est mis à la course en ligne”, pour une participation aux JO d’Helsinki, en 1952. Bilan : 6e du 1000 mètres, à 4 secondes des trois premières places avec son coéquipier Maurice Graffen. Sans regret. “Et en 1953, il glisse à moto sur une plaque de verglas. Il en ressort avec une épaule fragilisée, rembobine Philippe. Il s’est alors mis au canoë en ligne à partir de 1955.”

Cette reconversion se passe plutôt bien, puisque Marcel – accompagné de Georges Dransart – attrape, en 1956 à Melbourne, un titre de vice-champion olympique sur le 10 000 mètres canoë biplace d’abord. Le lendemain, le 1er décembre, le duo rate de peu le podium, échouant à la 4e place du 1000 mètres. Et comme si cela ne suffisait pas, Marcel n’est pas du genre à larver à la maison, lui l’adepte des rando-canoë. “Avec ma mère, ils mettaient le canoë dans le train, descendaient la rivière, faisaient 25 bornes à pied avec le bateau sur un chariot à roulettes, reprenaient le train et rentraient.” C’est d’ailleurs sur les bords de Marne – “à la baignade, pas en compète” – que Marcel a rencontré la mère de Philippe et Éric. “Elle a fait les championnats du monde de kayak en biplace en 1954”, avait-il d’ailleurs omis de préciser.

Marcel Renaud, père de Philippe Renaud

Archive familiale

« La fédé m’avait dit ‘Passe d’abord ton bac. Les JO, tu verras plus tard’ ».

Les petits Renaud ont toujours vécu sur les bords de Loire. D’abord dans la région de Nevers, puis vers le Cher et le Loir-et-Cher. “On a toujours habité près d’une rivière.” Philippe convoque des photos de lui gamin, “à jouer pendant une journée entière dans un canoë, attaché à une grande ficelle”, les bivouacs des rando-canoë en famille, les parties de pêche avec Éric et puis les premiers entraînements dans le club de canoë-kayak du coin, le sport-études à Besançon, l’INSEP, les premières compétitions. Sans pression des parents. “Ils ne nous ont jamais poussés, Éric et moi, assure-t-il. Ils tenaient la quincaillerie du village et bossaient du lundi jusqu’au dimanche 13h. Mais ils arrivaient à nous emmener quand même en compète, avec le camion du magasin.” Au passage, c’est lors de ces premiers émois compétitifs qu’ils ont pris la mesure du passé sportif de leur père. “On voyait bien que les gens le reconnaissaient autour du bassin”, sourit encore Philippe.

Les frangins s’amusent sur l’eau, s’essaient à peu près à toutes les embarcations, aux descentes de rivière, aux slaloms, au kayak-surf, pour se fixer finalement sur les courses en ligne, en canoë. “Plus de glisse, des bateaux plus légers, plus de sensation de vitesse qu’en eaux vives, où tu dois souvent freiner le courant, énumère Philippe. Et puis la course en ligne, c’est le départ arrêté, la bagarre avec les autres lignes d’eau, le biplace, le quatre-places, la notion d’équipe.” Sur les bassins, les frères ne passent pas inaperçus. Déjà parce qu’ils sont frangins, sans doute. Peut-être un peu parce qu’ils sont Renaud, aussi. Et parce que les résultats sont là, surtout. Mais même si les deux frères ont déjà “fait 9 sur un championnat du monde junior”, ils ne navigueront pas ensemble durant leur carrière. “Éric est plutôt longue distance, alors que moi, j’étais plutôt sur le sprint, explique Philippe. Techniquement, nous n’étions pas vraiment complémentaires. Et puis j’ai préféré aller sur du monoplace, au début.” Malgré son statut de junior, Philippe devient rapidement le 2e meilleur Français sur le 500 mètres monoplace. Pas suffisant, cela dit, pour l’envoyer aux JO de Moscou en 1980. “La fédé m’avait dit : ‘Passe d’abord ton bac. Les JO, tu verras plus tard.’”

Les misters gagnants

La fratrie Renaud attendra 1984 et Los Angeles pour connaître ses premiers Jeux olympiques. “La Californie, c’était quand même frappadingue, se souvient Philippe. On était logés à l’université de Santa Barbara, située en bord de falaise, à côté d’une plage. Magnifique. On disputait nos courses sur un lac en montagne, 1h20 plus loin. La police bloquait tous les carrefours, les bus roulaient sans s’arrêter.” Le début de ces Jeux californiens est plus compliqué pour Philippe que pour Éric. Disqualifié sur le 1000 mètres pour s’être, selon les juges, trop rapproché d’une ligne d’eau voisine, profitant d’un “effet de vague”, Philippe attrape la finale du 500 après avoir été repêché des séries au temps. “En finale, je fais 4, à un centième de la médaille de bronze, souffle-t-il. Juste derrière, sur le 500 mètres biplace, Éric et Didier Hoyer font 4 aussi, à un dixième de la troisième place...” L’aîné – de 18 mois – des Renaud lavera l’affront le lendemain, le 11 août, toujours avec son compère Hoyer : deuxième médaille olympique de la famille, en bronze, sur le 1000 mètres.

À défaut d’avoir vécu l’ouverture, les frangins feront la cérémonie de clôture des Jeux, “un truc extraordinaire”, même s’il confie une attente assez longue et une police californienne à la matraque facile dans le tunnel d’entrée. Tournant dans le Los Angeles Memorial Coliseum, la délégation française ne sortira finalement jamais du stade. “La première délégation n’étant pas sortie, toutes les autres ont fait pareil, ça a mis un peu le bordel et on est tous restés là, allongés sur la piste, à regarder le feu d’artifice, à écouter Lionel Richie… C’était grandiose.” Quatre ans plus tard, Philippe enchaînera aux JO de Séoul, en 1988. Éric n’est quant à lui plus en équipe de France depuis deux ans. Ce qui “faisait un peu bizarre, quand même”, admet Philippe, qui n’avait jamais mis un pied et ni une pagaie en Asie. En Corée du Sud, Philippe laisse ses premières amours – le canoë monoplace – pour le biplace. Il est accompagné sur l’embarcation par Joël Bettin 18 mois avant le début des Jeux ; le nouveau duo s’apprivoise bien, et leur nouvelle combinaison en lycra bleu et blanc, près du corps, fait même des envieux. “On a été dans les premiers, en France, à avoir des vêtements un peu moulants sur le canoë.” L’équipage termine 5e sur le 1000 mètres aux mondiaux, malgré un départ raté. “Tout était bien calé, on ne se posait aucune question, concentrés sur nos coups de pelle, à savoir notre chrono avant même de regarder le tableau d’affichage.” Joël et Philippe enlèveront le 30 septembre 1988 le bronze à Séoul, à deux dixièmes de l’argent. Et Philippe se mariera quelques semaines plus tard.

Philippe Renaud et Joël Bettin

Archives familiales

"Même si on bossait beaucoup, on était quand même des amateurs."

Lorsqu’il regarde dans le rétro, ce qu’il concède ne pas faire souvent, Philippe constate que c’est lors de son époque, avec Éric, que l’école française de canoë s’est créée. “Même si on bossait beaucoup, on était quand même des amateurs, détaille Philippe. 2-3 entraîneurs connaissaient 2-3 choses sur la façon de pagayer, mais il devait y avoir 15-20% de bon là-dedans.” C’est en multipliant les entraînements avec les Canadiens, les Russes, les Danois, les Allemands de l’Est, les stages spartiates en Hongrie ou, plus aventureux, en Floride à naviguer entre les alligators et les “serpents-minutes”, que les Français ont construit leur style. “On a fait un mix de tout ça pour avoir notre propre manière, à la française, de pagayer.” Aujourd’hui, le club de canoë-kayak de Cosne-Cours-sur-Loire, dans la Nièvre, porte le nom de Marcel Renaud, qui a pris ses distances avec les mortels il y a quelques années. Éric, devenu professeur d’EPS, est quant à lui à la retraite. Philippe y sera bientôt, alors qu’il s’occupe aujourd’hui, pour le ministère des Sports, du suivi des sportifs de haut niveau de la région Pays de la Loire. “Ça fait quand même 1200 sportifs dans ce coin-là”, compte-t-il. Il a entraîné en équipe de France également, mais s’est retiré du canoë depuis 2000. “Ça reste un microcosme quand même, et je voulais voir autre chose, rencontrer de nouvelles personnes.” Philippe se voit bien, dans un futur pas si lointain, monter sa boîte de meubles design, faits de bois, de carbone et de métal. “Je fabriquais déjà moi-même mes pagaies avant”, éclaire celui qui se qualifie comme quelqu’un de “très manuel”.

Pour ce qui est du terrain sportif et olympique, les allergiques aux Renaud ont a priori du temps devant eux. La fille de Philippe a bien été championne de France de ballet en natation synchronisée, mais a arrêté pour “continuer ses études”. Son fils a empilé des années de judo et de VTT, mais n’a jamais voulu faire de compétition. Il tient aujourd’hui une concession automobile. Rien non plus sur le radar du côté de la famille plus élargie. “Mes petits-enfants, peut-être, essaie Philippe. Mais ils ont 4 ans et 6 mois (au printemps 2023, NDLR), donc ils ont le temps.” Il range les archives dans une grosse chemise, avant de finir par un dernier souvenir de bassin : “Quand on me demandait : ‘Alors, elle est où, la relève chez les Renaud ?’, je répondais souvent, pour rire : ‘Trois générations, c’est déjà pas mal. Si on en fait encore une, ça va finir par devenir une tare.’” La meilleure des tares. Sans doute.

« On a été dans les premiers, en France, à avoir des vêtements un peu moulants sur le canoë »

Par Ronan Boscher

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